Ecritures fémnines, l'Asie des écritures croisées
La fête du livre, consacrée cette année au roman asiatique, s'est tenue du 15 au 18 octobre. Après la venue de Salman Rushdie pour l'édition précédente, chaque amateur de littérature se demandait avec passion quels auteurs seraient invités cette année. Ce fut une très bonne surprise que de constater que les écrivains ont été nombreux à se déplacer pour cette fête du livre, qui était placée sous le signe de l'éclectisme culturel et stylistique. En effet, par rapport à l'édition de l'année dernière, qui tournait tout autour (et ça se comprend) de la figure de Salman Rushdie, au détriment de la découverte d'autres univers, on pouvait cette fois-ci assister à de véritables échanges et rencontrer des auteurs très différents les uns des autres.
Qui sont ces écrivains? La soirée d'inauguration, le jeudi soir, a permis un rapide premier contact. Il y avait donc Li Ang, auteur chinoise, qui pour moi reste la figure marquante de cette fête du livre, grâce à son humour, son oreiller et son livre Tuer son mari; Tawada Yoko, dont l'Opium pour Ovide est assez... déconcertant; Minaé Mizumura, qui mélange allègrement japonais, français et anglais dans ses interventions; Thuân, auteur vietnamienne, qui semblait malheureusement un peu en retrait pendant les débats; Kim Young-Ha, l'écrivain-playboy coréen, qui révèlera les secrets de sa libido; Xu Xing, originaire de Chine, qualifié par une étudiante dont je tairais le nom de «trop choupi», dont la modestie et le pull Fête du livre ont marqué l'assemblée; et enfin le Vietnamien Bao Ninh, qui a tout de suite donné le ton de cette édition, par sa décontraction et son sens de l'humour. L'ambiance générale était en effet détendue, bien qu'attentive; il faut par ailleurs saluer le travail des interprètes, qui ont su s'effacer pendant les interventions, tout en nous faisant prendre conscience du défi permanent que représente la traduction.
Résumé de la conférence «Ecritures féminines»
Les auteurs présents étaient Li Ang, Yoko Tawada et Thuân.
Vous reconnaissez-vous dans le terme «d'écriture féminine»?
Li Ang:
L'auteur chinoise met ici l'accent sur les liens entre politique et sexualité. Figure de la dissidence de Taiwan, elle fait partie de la génération qui a vécue et animée la révolution politique et sexuelle: après s'être battues pour l'égalité sociale, les femmes ont dû revendiquer une égalité sexuelle, dans un contexte asiatique où les influences de l'occupation japonaise et du confucianisme sont un double poids pour la Femme. Li Ang a ainsi écrit à partir des années 1990 une série de romans très érotiques, qui selon ses mots «la font parfois elle-même rougir aujourd'hui».
Il y a selon elle un lien étroit entre culture et sexualité: les comportements sexuels sont très différents selon les cultures, surtout en cas de problèmes politiques. Ainsi, les féministes taiwanaises estiment avoir le droit d'utiliser leur corps pour arriver à leurs fins... Mais le monde étant encore aujourd'hui aux mains d'hommes assez âgés (sauf Obama), une femme qui veut conquérir ses droits avec son corps doit fréquenter ces hommes, et peut être faire des choses qu'elle ne souhaite pas faire, ce qui a très certainement des répercussions négatives sur son Moi profond. C'est pour ce genre de pensée que Li Ang ne se considère plus comme une figure de milieu féministe de Taiwan.
Tawada Yoko:
Elle ne pense pas pouvoir se définir dans les terme «d'écritures féminines». Néanmoins, il y a toujours dans le processus d'écriture un décalage avec le temps réel, auquel vient s'ajouter le décalage d'être une femme. Si elle n'a pas le temps de réfléchir à son identité de femme quand elle écrit, elle a bien conscience d'être une femme, d'écrire avec un corps de femme. Lors de l'écriture de son livre Le Voyage à Bordeaux, elle a vagabondé entre les différentes parties de l'œuvre, en cherchant à trouver des formes de fortes motivations à vivre. Faisant confiance au corps pour accomplir cette démarche, on peut se demander si ce n'est pas là une façon féminine d'aborder l'écriture... Mais elle n'en est pas sure.
Thuân:
Née en pleine guerre, la seule chose positive qu'a apportée le communisme est selon elle l'égalité entre homme et femme. Il n'y a donc pas de réel problème de ce point de vue là au Vietnam.
Elle ne veut coller aucune étiquette à son écriture: c'est pour cette raison qu'elle choisit comme pseudonyme son seul prénom, qui est mixte. Etre une femme ou un homme n'est pas une réel question pour un auteur. La question de l'écriture féminine n'est pas une question qu'elle se pose.
Intervention de Doan Cam Thin, traductrice de Thuân:
Virginia Wolf disait que ce qui était le plus difficile pour un écrivain, c'était d'être soi-même. La question primordiale est donc, avant de se poser celle de la différence entre homme et femme: comment écrire?
La littérature féminine est complexe: il ne faut pas en faire une lecture réductrice et l'enfermer dans un ghetto. On ne parle pas «d'écritures masculines» donc pourquoi évoquer les «écritures féminines»?
Intervention de Li Ang:
Elle n'est pas d'accord! Autrefois seuls les hommes avaient les conditions nécessaires pour devenir auteur, ce qui n'est pas le cas de la femme. Cette dernière doit trouver sa place dans le monde littéraire, et cela en créant ses propres thèmes, qui ne peuvent faire abstraction de sa condition de femme.
Intervention d'Anne Bayard-Sakai:
La langue est-elle porteuse de différences sexuelles? Y-a-t-il une langue féminine?
Il n'y a pas de différence en vietnamien. En japonais, la différence se fait surtout à l'oral, mais l'écriture peut être neutre. Néanmoins, les poèmes écrits qu'en hiragana sont typiquement féminins. En chinois il y a des différences de langage entre homme et femme. C'est pourquoi Li Ang s'intéresse tout particulièrement à la façon de parler des vieilles femmes.
Intervention de Doan Cam Thi:
Simone de Beauvoir, éminente féministe, était très critique envers la littérature féminine, cantonnée à des clichés comme les journaux intimes, et donc par définition limitée dans la subjectivité. Il y a encore des carcans culturels forts qui entourent l'idée d'une œuvre littéraire féminine.
Après ces interventions, on est passé aux questions du public, la plupart assez étrange et ayant suscité la perplexité du groupe d'étudiants que nous formions... cf «L'énergie lente des femmes»... Oui oui bien sûr!
Article de Noëlle